04.
Off the Mall
Co-auteurs : Hugo Suchet & Paul Laminie
2018
28 x 19 cm
99 pages
Français
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" Les Shopping Malls se sont multipliés à travers le monde pour devenir les ambassadeurs de la consommation de masse et de l’architecture générique. Il sort de terre chaque année des Malls toujours plus vastes, à la programmation toujours plus large. Les démesures de ces bâtiments ballotent notre œil d’architecte entre répugnance et fascination. Ces bâtiments, aux proportions désormais urbaines, assistent au mouvement mimétique et symétrique des villes qui ressemblent désormais à des Malls à ciel ouvert.
Parce que les proportions et la programmation du Malls permettent l’avènement d’une relation concurrentielle avec la Ville. Parce que son intériorité possède un rapport ambigu avec la notion d’espace public. Parce qu’il représente un lieu d’approvisionnement et de sociabilité ouvert à tous et parce qu’il est simultanément un lieu d’influence commerciale, le Shopping Malls cristallise dans l’espace les phénomènes de consommation qui façonnent la ville contemporaine.
Soucieux de comprendre ces mécanismes et inquiets pour l’intégrité de l’espace public urbain contemporain, nous choisissons d’étudier cet objet étrange qu’est le Shopping Malls. Nous nous plaçons en tant que défenseurs de l’espace public, qui représente selon nous, l’ensemble des endroits accessibles à tous et dont la jouissance est commune. Dont l’accès n’est pas soumis à des conditions financières ou discriminantes. Et son intégrité existe s’il demeure le réceptacle des symboles et symbole lui même, des valeurs institutionnelles du pays dans lequel il se trouve. Il possède une certaine neutralité, en ce que les lois et logiques qui le régissent s’appliquent de façon égalitaire à tous les citoyens qui le fréquentent. Son intégrité est menacée, si des organismes privés acquièrent sa gestion et y implémentent des dispositifs d’influence. Il entre dans une logique de marchandisation qui l’ouvre aux marchés et à la spéculation économique. Déchu de son rôle de symbole, il devient alors le support d’une communication à visée mercantile, promotion d’un modèle de consommation détachée de la réalité environnementale. Afin de comprendre le devenir de l’espace public, gratuit et ouvert aux initiatives citoyennes, nous nous demandons : en quoi la dissolution de l’espace marchand à l’ère numérique inquiète-t-elle l’intégrité de l’espace public ?
Dans cette démarche, nous choisissons d’analyser les relations qu’entretiennent l’espace du Malls et l’espace public. En tant que lieu d’approvisionnement et de consommation, a priori ouvert à tous, le Malls possède un statut ambigu qui trouble notre lecture. Or l’atteinte à l’intégrité de l’espace public que nous dénonçons, commence justement avec l’ambiguïté, avec l’opacité des modes d’influence spatiale, avec le marketing insidieux.
Selon nous, l’espace du Malls développe trois types de relations avec l’espace public, qui se succèdent chronologiquement. Lors de sa formulation initiale, on pense le modèle du Shopping Malls pour remédier au déficit d’espace public dont les suburb américaines souffrent. Ces villes qui fleurissent dans les années 60 offrent à chaque famille nucléaire une maison individuelle, un carré de terre et un garage. Mais déjà l’excitation des nouveaux propriétaires s’estompe avec la nostalgie d’un espace public qui n’existe plus. Les developers commerciaux fabriquent alors un espace public in vitro dans ces banlieues qui en sont dépourvues. Des pastiches qui s’approprient l’imaginaire collectif de l’espace public en copiant certaines de ses caractéristiques spatiales. Le modèle du Shopping Malls rentre alors dans une relation de Substitution avec l’espace public des rues et places qui ponctuent la ville traditionnelle — il rentre en compétition directe avec la ville moyenne qui assiste à la désertification de son centre.
Nous verrons ensuite comment dans un contexte urbain et plus récent, la relation de Substitution entre espace marchand du Shopping Malls et espace public cède sa place à une relation d’Hybridation. Il s’agit de l’imbrication de l’un dans l’autre — du parasitage mercantile des organes de l’urbain. D’abord en raison de la dynamique mimétique et réciproque qui s’établit entre Ville etMalls dans les métropoles du monde. Avec la Ville-ification du Malls, ou comment le Malls poursuit son mimétisme des typologies de l’urbain. Des Malls qui s’ouvrent pour devenir des quartiers de Ville, tandis que les programmes fondamentaux de la Ville deviennent de véritables centres commerciaux — à l’instar des gares et aéroports dont les survies dépendent à présent du trafic commercial. Ce phénomène de gestion privée de parties de l’urbain, nous le qualifierons de Mall-ification de la Ville, où plusieurs des espaces publics se chargent d’une influence commerciale.
Enfin, la digitalisation globale du commerce nous mène à la troisième relation que nous identifions, la Dissolution de l’espace marchand dans l’espace public. Nous formulons l’hypothèse de cette troisième relation au regard des évolutions technologiques de la consommation. En effet, les technologies de captation rendent l’achat possible dans tout l’espace qu’elles couvrent et transforme n’importe quel endroit en potentiel espace de consommation. Dissoute, la consommation cherche à étendre encore son domaine en s’infiltrant dans l’espace public, en créant une bulle sécuritaire dans laquelle règne une atmosphère au protoxyde d’azote et où l’achat traditionnel s’est fondu dans une consommation diffuse et permanente.
Cette Dissolution que nous présentons et que nous tentons ici de théoriser s’opère actuellement à des degrés d’intensité différents selon les régions du monde. Cependant, elle développe et encourage un processus d’homogénéisation des modes de consommation.
Quels sont alors les principaux vecteurs de la Dissolution de la consommation? Quels sont les procédés technologiques de cette Dissolution? En quoi la Dissolution menace-t-elle l’intégrité de l’espace public ? "








