Religion du Bug, Bug des Religions
Hugo Suchet
2018
29,7 x 21 cm
89 pages
Français
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"Une envie frénétique d’expliquer nous anime. Depuis qu’il formalise sa pensée, l’homme n’a eu de cesse de vouloir enrichir le monde de l’explicite. Si nous nous intéressons à la religion, c’est en tant que source d’explication du réel ; en tant qu’explication mystique du monde, présente dans toute société et fondamentalement génératrice d’architecture.On trouve dans le passé, on trouverait même aujourd'hui, des sociétés qui n'ont ni science, ni art, ni philosophie. Mais il n'y a jamais eu de société sans religion.
La société post-moderne est profondément technologique. Elle développe une sur-explicitation du monde sous le prisme des sciences. Certains phénomènes, parmi les plus intimes de la nature, sont désormais exposés au grand jour. Jamais le savoir ne s’est aventuré aussi profondément dans la matière. Les grands mythes se dissolvent derrière leur décodage scientifique. Cependant, bien que le microscope révèle la division cellulaire, certains reconnaissentla conception immaculée. Comment alors, expliquer la coexistence de ces clarifications du monde apparemment antinomiques ?
Ce qui peut paraître paradoxal c’est que face à une rationalisation globale, la pratique religieuse connait une réelle recrudescence. Le nombre de fidèles des religions monothéistes continue de croître essentiellement sur les continents africain et américain. Ce « retour » de la religion peut donc se comprendre en tant que phénomène global. Mais que se passe-t-il quand la raison focalise notre attention sur des préoccupations terrestres ? Alors on observe un retour à la religion, ou du moins à la spiritualité, dans notre quête terrestre de bien-être et de quête de sens de la vie. La motivation d’une éternité heureuse post-mortem ne satisfait plus l’individu-consommateur de notre ère. Il lui faut trouver dans ce monde des motivations et des raisons à son existence.
Dans cette recherche, on définira la religion comme une certaine organisation des croyances et pratiques, qui visent à connecter l’humain à un monde qui existe au-delà de son champ perceptif. Elle repose sur trois éléments fondamentaux qui nous servirons de guide pour décrypter les religions du digital : la croyance, la pratique et la communauté. Cette définition demeure volontairement large, afin de n’exclure aucun dogme, aucun système de croyance et aucun mysticisme. Nous concentrerons cependant notre étude sur les trois religions du Livre avec une attention particulière à la religion chrétienne. Pour éviter les imprécisions et approximations culturelles, c’est bien la religiosité occidentale qui constituera la base de notre recherche.
La religion renvoie aux objets et idées qui réunissent les hommes sur un plan horizontal dans la quête du vertical. Et comme tous les objets sociaux, la religion n’échappe pas à l’hégémonie digitale. Le numérique propose à présent des nouvelles façons de concevoir et de pratiquer le culte religieux. Il produit une réelle transformation des représentations de la sphère religieuse. L’aspect virtuel de certains de ces cultes digitaux questionne notamment la légitimité de l’architecture sacrée. On trouve désormais sur internet, des églises numériques dans lesquelles on va prier avec un casque de réalité-virtuelle. Or l’édifice sacré, en tant que « maison de dieu », se présente comme une constante de l’histoire des religions. Il s’agit de matière qui sépare l’espace profane, qui délimite le lieu de culte. Mais si le temple se dématérialise, comment situer le sacré ?
Le digital, en plus de modifier les représentions classiques de la sphère religieuse, suscite des questionnements ontologiques inédits. Les progrès de la technologie, dans le domaine de l’intelligence artificielle par exemple, interrogent la nature humaine. Ces innovations ouvrent un champ d’investigation qui fait écho à de nombreuses questions religieuses ou métaphysiques. Il n’est plus simple outil, il est l’outil qui interroge le réel.
Le digital constitue un objet dont la compréhension n’est ni égale entre les hommes, ni totale. Il existe donc au sein de cette fabrication humaine des mystères, des événements dont la causalité n’est pas clairement identifiée. Nous formulerons ici l’hypothèse selon laquelle il existe une mystique du
digital5. Il existe à ce titre des religions de l’information qui émergent et qui s’alimentent de la potentialité de puissance qu’on prête à la computation.
En quoi la sphère computationnelle est-elle productrice de mysticismes et de questionnements métaphysiques ? L’immatérialité, l’omniscience et l’ubiquité, en tant que caractéristiques divines, ne caractériseraient-elles pas également le digital de notre ère ?
La légitimité de s’intéresser aux religions digitales en tant qu’architecte réside principalement dans leur capacité à donner naissance à des typologies architecturales nouvelles. Si certains cultes digitaux émergent avec leurs croyances, leurs communautés et leurs pratiques, quels nouveaux lieux de culte apparaissent avec ces nouvelles croyances ? Quelles spatialités nouvelles pour ces religions nouvelles ?"







